Dernier Jour 6h27

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Deutsche Presse-Agentur, Almogar, aujourd'hui, 06h27. FLASH : Attentat à Almogar. Un commando suicide vient de frapper le terminal F de l'astroport d'Almogar. Il y aurait de nombreuses victimes. Un porte-parole de l'ASI (Agence Spatiale Internationale) a déclaré : « C'est une véritable boucherie, il faudra des heures avant d'y voir plus clair »

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Lise ne pouvait plus dormir. Elle se leva et passa une robe de chambre. Elle alla se faire un thé et une tranche de pain grillé parfumée de quelques gouttes d'huile d'olive. S'asseyant sur le tabouret pour grignoter son petit déjeuner, elle activa la télévision. Aussitôt, le programme des nouvelles récentes s'afficha. Un attentat de grande ampleur venait d'avoir lieu sur l'Astroport à Almogar. Un minibus avait explosé dans le parc de stationnement et mit le feu à une dizaine de voitures. Cependant, cette bombe n'était qu'une diversion pour le commando suicide de six membres bardés d'armes automatiques, de grenades, de mini-missiles tactiques et de bombe-ceintures, qui s'était engouffré au travers de trois points de contrôle successifs en tirant sur tout ce qui bougeait. Ils devaient être très entraînés, car ils s'étaient livrés à un authentique assaut des points de passages barricadés. Bardés de gilets pare-balles et casqués comme des soldats, à coup sûr shootés avec ces nouvelles amphétamines surpuissantes qui transformaient le moindre chaton en tigre, ils s'étaient livrés à un véritable carnage dans l'astroport heureusement encore désert à cette heure très matinale. Au total, ils avaient massacré une vingtaine de personnes, pêle-mêle gardes et passagers, et en avaient blessé plus d'une centaine d'autres avant que le dernier kamikaze ne soit abattu. Celui-ci était parvenu à courir à travers le terminal jusqu'à une porte d'embarquement. Il n'avait été stoppé que quelques mètres avant la navette StarWanderer qui attendait là. En faisant sauter la bombe qui le ceinturait, il avait tué le vigile qui lui bloquait le chemin, pulvérisé la passerelle, et endommagé l'avion orbital qui heureusement n'avait pas pris feu, car il était bourré à craquer de passagers.

Lise secoua la tête. Depuis quelques mois, l'astroport, qui avait toujours été la cible de choix des terroristes depuis l'Annonce, avait connu une recrudescence d'attaques, malgré les moyens énormes déployés par les forces de l'ordre. La créativité des terroristes semblait sans limite, et la détermination des kamikazes était effectivement inégalable. Face une menace pareille, Morgan avait expliqué à Lise qu'il était impossible de descendre le risque à zéro, à moins de ralentir dramatiquement l'activité, ce qui était juste impossible, avec l'explosion de la demande de trafic. Tandis que Lise, déprimée par la noirceur de ces nouvelles, baissait la tête dans sa tasse, la présentatrice annonça un flash spécial. Un journaliste était sur place, la caméra montrait un hôtel dévasté par une bombe de très forte puissance. Du fait qu'elle n'y accordait pas toute son attention, Lise mit une bonne minute à réaliser qu'il s'agissait d'un hôtel sur la plage, à Santa-Maria d'Almogar, un endroit qu'elle connaissait très bien, distant d'à peine trois kilomètres. Ainsi, le grand bruit qui l'avait réveillé... Un frisson d'effroi lui parcourut l'échine. Lise savait très bien ce qu'être la victime de la mise à feu d'un explosif voulait dire. On annonçait des morts, et comme chaque fois dans ces cas-là, on pouvait s'attendre à ce que le bilan s'alourdisse avec les heures qui passaient. Lise regarda, horrifiée, la caméra faire un plan panoramique sur ce qui restait du restaurant où Morgan et elle avaient dîné tant de fois, quand son portable sonna. Elle s'en saisit et vit que c'était Morgan, qui se tenait en combinaison de vol bleu pâle dans un de ces bureaux anonymes de l'ASI à Almogar.

— Lise, je ne te réveille pas ?

— Non, tu vois, je déjeunais.

— Ça va ?

— Bien, très bien. Esmeralda dort encore.

— Il y a eu un attentat très grave ce matin sur le bord de mer, et un autre à l'astroport, il y a quelques minutes.

— Oui, je viens de voir cela.

— Ce n'est que le début de la journée. Tous les indicateurs sont dans le rouge, et nous sommes dans le collimateur.

— Oh, Schwartz !

— Je voudrais que tu ailles dans le garage. Regarde dans le gros pot en grès, à droite de la porte. Tu y trouveras la clé des tiroirs de gauche de l'établi. J'espère que tu n'en auras pas besoin, mais si on en arrive là, je veux que tu sois bien équipée.

Pour toute réponse, Lise lui fit de gros yeux.

Lise trouva facilement la clé et elle alla au garage ouvrir le tiroir en question. Il contenait un truc dense, froid et dur, enfermé dans une enveloppe scellée. Lise en décolla le volet avec soin. En mettant la main sur la chose, elle vérifia que son intuition sur la nature de l'objet avait été exacte. Elle le sortit et lut, gravé dans le noir du composite derrière le film transparent qui l'emballait : Smith & Wesson. Morgan lui avait expliqué que ce type d'arme, dont les munitions étaient rangées dans un chargeur qu'on introduisait dans la crosse, s'appelait un pistolet automatique. Lise hésita. Elle avait un profond dégoût pour cette classe d'instruments et celui-ci lui semblait d'autant plus détestable qu'il était petit et léger. Morgan lui avait expliqué qu'il ne comprenait aucune pièce en métal plus grosse qu'une tête d'épingle afin d'échapper à la détection des forces de l'ordre, et on pouvait aussi deviner que, du fait de sa petite taille et de sa minceur, il était très facile de le cacher. Cela en faisait une arme de choix pour un terroriste, et la rendait doublement détestable aux yeux de Lise. Enfin, elle gardait un souvenir très précis de l'expérience traumatisante à la suite de laquelle cette arme était entrée en possession de Morgan. Elle frissonna. Néanmoins, les recommandations de Morgan dans un domaine comme celui-là ne pouvaient pas être ignorées, et elle se saisit du pistolet. Elle examina l'arme pour trouver le cran de sûreté, afin de vérifier qu'elle savait le faire jouer, car elle avait très bien compris ce que Morgan lui avait expliqué sur les circonstances dans lesquelles elle pouvait être amenée à en avoir besoin. Lise se souvenait mot pour mot de la courte conversation qu'elles avaient eue à ce sujet :

— Il n'y a que trois choses à savoir avec ce genre de truc, avait dit Morgan. Un : il faut savoir enlever le cran de sûreté, dès que tu mets ta main sur l'arme pour la prendre. Le reste est intuitif. Tu lèves le bras vers ta cible et tu tires, dans un seul geste. Ne tente pas de viser en fermant un œil ou des trucs de cinéma dans ce style. D'accord ? Et surtout, tu tires autant de fois qu'il le faut pour que ton adversaire tombe par terre. Quand il faut y aller, on y va à fond. Tergiversations interdites, OK ?

— OK. Et la deuxième chose ?

— À moins d'avoir beaucoup d'entraînement, ce genre d'arme ne sert qu'à tirer sur quelqu'un qui est juste devant toi, mais ne le laisse pas venir trop près non plus, ne lui donne pas une chance de te désarmer. La distance minimum est de trois pas, c'est le plus près que tu peux le laisser approcher, toujours d'accord ?

— La troisième chose ?

— Si tu braques quelqu'un, tu dois impérativement avoir au préalable pris la décision que s'il tente sa chance, s'il rentre dans ce cercle interdit autour de toi, tu tireras. Car en général, tu ne vas pas pouvoir reculer très longtemps pour garder ta distance... Et si tu le fais, tu le conforteras dans l'idée que tu ne vas pas tirer.

Lise considéra l'arme dans sa main. Il avait un autre aspect. Elle respira à fond. Elle se redressa, et bien droite, elle ouvrit la bouche et s'y glissa le canon en visualisant l'angle de tir. Elle avait lu qu'il fallait faire attention à ne pas tirer trop vers le haut : une façon particulièrement horrible de se rater. Elle resta ainsi quelques secondes, le doigt sur la détente. Elle s'était préparé une autre méthode, mais celle-ci avait l'avantage d'être très rapide à mettre en œuvre et tout à fait irrémédiable. Un peu tremblante, Lise déposa l'arme dans la poche de sa robe de chambre. En remontant l'escalier, celle-ci battait contre ses cuisses. Elle la sortit de la poche et, après avoir vérifié que le cran de sûreté était mis, elle la cacha dans le tiroir du vide-poche de l'entrée avant de revenir à la cuisine boire son thé qui avait à peine eu le temps de tiédir. Ensuite, elle vérifia qu'Esmeralda dormait encore avant de prendre la direction de la salle de bain.